Une journée type (avec ou sans tablette !)
Chers amis Fontenaisiens,
La Poste nous a fait parvenir un courrier d’Italie (avec un peu de retard). Après quelques efforts de traduction, voici sans plus attendre les premières phrases :
« Tu demandes comment j’organise ma journée en Toscane (…) ?
Quand cela me convient, je m’éveille la plupart du temps autour de la 1ère heure, souvent avant, et rarement plus tard. Les fenêtres restent closes ; en effet, entouré du silence et des ténèbres, loin de ces choses qui nous divertissent, libre et rendu à moi-même, je n’assujettis pas mon esprit à mes yeux, mais j’assujettis mes yeux à mon esprit : car mes yeux voient les mêmes choses que ce que mon esprit voit, chaque fois qu’il n’est pas distrait. (…) »
Un appel à réfléchir, pour un temps présent mieux employé, et pour un « après » soutenable ?
Cette lettre qui nous vient d’un peu plus de 1000 km de Fontenay-aux-Roses, et d’un peu moins de 2000 ans avant le confinement, a été écrite par Pline le Jeune, en latin. Et ce n’est pas parce qu’il n’est que le neveu de Pline l’Ancien, qu’on doit le considérer comme un « sous-Pline ». Le Pline qui nous écrit est tout de même le fondateur du genre épistolaire.
Dans la suite de sa lettre, il décrit le reste de sa journée, dans un cadre horaire strict, mais avec des assouplissements, souvent les bienvenus, et rarement stériles.
Lorsque Pline se déconfine, il n’oublie jamais sa tablette ; il l’utilise, non pas pour rester connecté aux infos en continu, ni pour aller sur twitter, mais pour écrire (ce qui est pour lui son travail), lorsqu’il en a l’inspiration.
Dans un monde où notre mode de vie est bouleversé ; nos journées ne sont plus rythmées par l’école, ni par le travail ; nos événements exceptionnels, qu’ils soient joyeux ou douloureux, nous sont interdits. Ce qui fait notre bonheur, et ce qui fait notre profonde tristesse, même la possibilité de faire notre deuil : tout nous est confisqué par un virus, une excroissance de la nature, qui n’est même pas un être vivant.
Pline le Jeune nous invite à réfléchir sur ce que nous voulons vraiment comme citoyens du monde. Il ressort de son message que plus je suis rigoureux dans mon emploi du temps, plus j’ai des espaces de liberté. Et c’est la notion d’ « otium », de vie sans contrainte que Voltaire a traduit au XVIIIème siècle par l’oisiveté. C’est aussi ce qui désigne les loisirs, qui forment dans l’antiquité, la vie intellectuelle, sociale et physique, en harmonie avec la nature. Tout cela est opposé à son activité lorsqu’il est à la ville avec ses paysans et ses commerçants (ses négociants : « negotium »).
L’antiquité a relevé le défi et a réussi à relier ces deux opposés par l’épicurisme.
Le confinement est une occasion unique qui nous est offerte pour modifier durablement nos modes de vie : relevons « hic et nunc » (ici et maintenant), ce défi !
Laurent MARULAZ, en hommage à Eric PAULIAT, « passeur » émérite des Lettres de Pline
PS : Nous observons autour de nous que le confinement a tendance à perturber notre rythme de vie. Certains se décalent, or nous savons à quel point il est important pour notre écosystème et notre santé (physique et psychique) de dormir la nuit et d’être éveillé le jour (cf sur ce blog, article du 08/04 « Pollution lumineuse, appel aux lucioles »). En 2017, le Prix Nobel de Médecine récompensait 3 chercheurs pour leur découverte des « gènes de l’horloge » qui régulent le rythme circadien…
PS bis : Après le confinement, nous pourrons aller au Musée de Cluny (dit « Musée du Moyen-Age), dans le quartier latin, pour saluer la Dame à la Licorne (tapisserie en six tableaux) et son énigme épicurienne « A mon seul désir ».
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