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Missak Manouchian, arménien, immigré, ouvrier, poète, résistant, mort pour la France, est entré au Panthéon, avec sa femme Mélinée, arménienne,immigrée, résistante.

         Survivant du génocide commis en 1915 par les Turcs contre les Arméniens, Missak Manouchian* arrive en France le16 septembre 1924. Par deux fois, en décembre 1933 et en janvier 1940, la France lui a refusé la nationalité française. Avide de culture (il a suivi des cours à la Sorbonne), poète, il fonde, avec d’autres arméniens, en 1930-1931 la revue  Tchank  ( Effort en arménien) revue littéraire en français et en arménien.

          Militant antifasciste, cadre de l’Internationale communiste à partir de 1935,  relais auprès des Arméniens de l’organisation  Main d’Oeuvre Immigrée MOI*, il s’est engagé totalement dans la résistance .

          Mélinée Manouchian est elle aussi survivante du génocide de 1915, elle aussi apatride. Mélinée et Missak  se sont rencontrés en 1934, se sont reconnus dans une adhésion commune à la civilisation française et à l'idéal qu'elle porte, se sont engagés ensemble .

 

21 février 1943 Missiak Manouchian, avec ses camarades de l’affiche rouge, est fusillé au Mont Valérien

          Pour l’Etat Français et la presse collaborationniste de l’époque, Missiak Manouchian était un apatride, un terrorriste qui méritait la mort.

 

Quelques heures avant d’être fusillé,  Missak a écrit une dernière lettre à son amie, sa camarade, sa femme  Mélinée:

 

21 février 1944, Fresnes

Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée.

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. On va être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas, mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur ! à tous !

J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et [d’]avoir un enfant pour mon honneur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse.

Tous mes biens et toutes mes affaires. Je [les] lègue à toi et à ta sœur, et pour mes neveux.

Après la guerre, tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la Libération.

Avec l’aide de mes amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie. Je mourrai avec 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait [de] mal à personne et, si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.

Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant au soleil et à la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal, sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et [à] ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien bien fort, ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.

Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel

P.-S. : J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M.M.

          11 ans plus tard, cette lettre inspira Louis Aragon le poème ci-après : « Strophes pour se souvenir », écrit en 1955 et publié en 1956 dans « Le Roman Inachevé ». Ce poème, sous le nom « L’Affiche Rouge » fut, en 1961, mis en musique par Léo Ferré**. Et repris au Panthéon par le groupe Feu!Chatterton***

       Strophes pour se souvenir

Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

                                                Louis Aragon

 

          Mélinée a échappé aux rafles, pas Missak. En 1946, Mélinée publie un recueil de poèmes écrits en arménien par Missak. En 1954,  elle rédige et publie un livre sur Missak, le premier qui lui soit consacré, et en 1956, elle publie  un second recueil des poèmes de son mari.

        Les poèmes de Missak Manoukian viennent d’être réédités dans une édition bilingue ( français et arménien) en janvier 2024.

 

21 février 2024, 80 ans plus tard, Mélinée et Missiak Manouchian entrent au Panthéon entrent au Panthéon.

          Les nazis et les collaborateurs français avaient voulu les marquer au fer rouge d’une affiche « infâmante . Avec Missiak et Mélinée Manouchian au Panthéon,  les résistants étrangers et apatrides entrent aujourd’hui dans la mémoire intangible de notre Histoire.

Le groupe français Feu ! Chatterton*** et son chateur Arthur Teboul,  en hommage à Missak et Mélinée Manouchian,  ont repris l’Affiche Rouge de Léo Ferré  lors de la cérémonie au Panthéon.

 

Suzanne Bourdet     Michel Faye

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Main-d%27%C5%93uvre_immigr%C3%A9e 

** https://www.youtube.com/watch?v=SFt2v4OSTbU

*** https://www.youtube.com/watch?v=YaA3R3ghrV4

 

 

 

 

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Le Panthéon est ouvert

Le Panthéon est ouvert gratuitement ces 3 jours vendredi 23 samedi 24 et dimanche 25 février 2024 pour l'exposition Missak Manouchian. Une invitation à nous faire réfléchir sur les valeurs morales des immigrés.

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