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"Celui qui dort dans la démocratie se réveille dans la dictature.” Dirk Elkemann, maire de Wiesloch

          Le 11 novembre se combinait cette année avec la célébration du cinquantième anniversaire  du  jumelage entre Fontenay-aux-Roses et Wiesloch. Cette commémoration a culminé avec  un discours, dans un français impeccable, du maire de Wiesloch Dirk Elkemann.

          Le maire de Wiesloch a échangé avec plusieurs fontenaisiens dont Yves-André Gagnard. Dirk Elkemann lui a fait l’amitié de partager avec lui son discours et de l’autoriser à le publier.

         Nous le publions, in extenso, ci-après.

 

Discours de Dirk Elkemann, Maire de Wiesloch, lors de la cérémonie de commémoration de l’armistice du 11 Novembre 1918, et des 50 ans du jumelage de la ville de Fontenay aux Roses avec la ville de Wiesloch en Allemagne.

 

Cher collègue Laurent Vastel,

Chers amis de Fontenay-aux-Roses,

          Je tiens tout d'abord à vous remercier chaleureusement de m'avoir invité à la cérémonie commémorative d'aujourd'hui. En cette année où nous célébrons le cinquantième anniversaire du jumelage de nos villes, c'est une nouvelle preuve que nous ne nous contentons pas de célébrer les éléments qui nous unissent, mais que nous nous souvenons aussi ensemble des événements qui ont jadis creusé un fossé entre nos peuples. Seuls ceux qui se souviennent de l'ensemble de notre histoire peuvent mesurer l’inestimable valeur de l'amitié profonde qui nous lie aujourd'hui.

          Notre commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale se déroule pour la troisième fois à l'ombre de la terrible guerre en Ukraine. Ce qui nous a ébranlés jusqu'au plus profond de nous-mêmes au début risque de devenir peu à peu une banalité dont nous acceptons l'apparente inéluctabilité avec un certain fatalisme. Mais la guerre ne peut et ne doit jamais devenir banale. Tant que cette guerre et d'autres existent dans le monde, nous devons nous engager de toutes nos forces pour leur résolution diplomatique et les dénoncer pour ce qu'elles sont : un échec flagrant de nos efforts pour créer un monde dans lequel tous les hommes et tous les peuples peuvent vivre en paix les uns avec les autres.

         « Je professe la conviction que nous ne résoudrons le problème de la paix que si nous rejetons la guerre pour une raison éthique, à savoir qu'elle nous rend coupables d'inhumanité ». Ces mots ont été prononcés il y a exactement 60 ans et ont été écrits par le célèbre médecin et philosophe franco-allemand Albert Schweitzer. Schweitzer, alors âgé de 90 ans, savait de quoi il parlait, puisqu'il a été le témoin des deux guerres mondiales et de la dangereuse course à l'armement nucléaire lors de la guerre froide. Dans ses réflexions théologiques et philosophiques, il est arrivé à la conclusion que l'humanité n'avait pas d'avenir sans le respect de la vie.

          Nous serions tous bien avisés de faire nôtre aujourd'hui plus que jamais le plaidoyer de Schweitzer en faveur de la paix. Ce n'est qu'en rejetant catégoriquement la conduite de la guerre comme moyen de résolution des conflits que nous pourrons nous diriger vers un avenir où l'humanité se libérera de cette terrible tare.

 

          On parle beaucoup ces jours-ci de la manière dont l'humanité peut à nouveau vivre en harmonie avec la nature en ménageant les ressources et l'environnement. La durabilité, la protection de l'environnement et du climat sont à juste titre sur toutes les lèvres. Mais on oublie souvent que l'action la plus néfaste et le plus grand outrage de l'homme à la nature n'est pas de polluer notre air, nos sols et nos eaux. Non, le plus grand sacrilège est la conduite de la guerre. Car rien n'est plus contre nature que l'élimination arbitraire de la vie par pur calcul de pouvoir ou par vengeance.

          Que l'on veuille le considérer d'un point de vue scientifique, spirituel ou religieux : au fond, tout le monde est d'accord pour dire que la vie est le bien le plus important et le plus digne de protection dont nous disposons sur cette terre - et ce, pour chacun d'entre nous ! Il est d'autant plus incompréhensible et regrettable que nous, les humains, malgré notre intellect unique, allions régulièrement à l'encontre de cette connaissance.

         Il y a 10 000 ans, nous nous battions à coups de pierres et de massues, aujourd'hui nous utilisons des projectiles et des bombes très efficaces, dont les pires ont même le potentiel d'anéantir irrémédiablement la plus grande partie de la vie sur Terre. Au fil des millénaires, nous avons réussi à évoluer de manière considérable, tant sur le plan intellectuel que technologique. Pourtant, nous ne semblons toujours pas avoir encore acquis la maturité nécessaire en ce qui concerne le développement de notre capacité à résoudre les conflits de manière non violente.

         Nous sommes certes plus civilisés que nos ancêtres des cavernes, mais si d'autres groupes humains se mettent en travers de nos ambitions, l'homme de Néandertal qui sommeille en nous risque de se réveiller immédiatement.

         Les fatalistes affirment que ce comportement est inhérent à la nature humaine et qu'il est impossible de l'éliminer. Mais nous ne devons pas nous y résigner, et nous devons au contraire rétorquer que l'histoire de l'humanité offre également de nombreux exemples dans lesquels des actions énergiques et une volonté marquée de réconciliation ont permis d'échapper au cycle de la haine et de la violence. Un tel exemple dans l'histoire récente est sans aucun doute le passage d'une « hostilité héréditaire » de longue date à une amitié profonde entre nos deux pays. Le jumelage des villes de Fontenay-aux-Roses et de Wiesloch, qui existe depuis 50 ans et s'est intensifié au fil des décennies, en est le résultat.

       On ne le dira jamais assez souvent : Le fait que nous soyons réunis ici aujourd'hui dans un lien d'amitié est un cadeau d'une valeur inestimable, et même les plus audacieux d'entre nous n'auraient pas imaginé qu'il puisse en être ainsi il y a 80 ans. Notre commémoration annuelle de la fin de la Première Guerre mondiale nous donne l'occasion de nous rappeler que l'écrasante majorité de nos peuples étaient autrefois animée par une véritable frénésie guerrière. Les images de jeunes soldats partant à la guerre en 1914, rayonnants de joie et pensant à tort que tout serait terminé au bout de quelques semaines, paraissent aujourd'hui extrêmement étranges. Mais ils sont le symbole de la mentalité dominante de l'époque : les autorités et leurs ordres n'étaient pas remis en question.

       Si l'autorité exigeait de défendre ses intérêts par les armes, on lui obéissait aveuglément. La guerre était glorifiée et romantisée comme étant la continuation de la politique par d'autres moyens. Les personnalités pacifistes comme l'écrivain français Romain Rolland ont été ignorées ou contestées. Par la suite, les nations participantes ont payé leur orgueil d’un tribut de sang sans précédent et l'amère constatation qu'elles avaient avant tout créé l’enfer sur Terre avec leurs activités belliqueuses comme le dit le proverbe.

 

Mesdames et Messieurs,

         Il est de notre responsabilité à tous de nous souvenir de notre histoire et de tirer les leçons des erreurs du passé afin que rien de comparable ne se reproduise. Ce ne sont pas les bellicistes de l'époque que nous devons prendre pour modèles, mais tous ceux qui, après 1945, ont promu et fait avancer le difficile projet de réconciliation et d'amitié franco-allemande. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer avec la plus grande conviction que leurs efforts ont été récompensés et qu'ils nous laissent dans une profonde gratitude.

        Puisse notre exemple encourager les belligérants d'aujourd'hui et être compris par eux comme un appel : regardez, la porte de la paix et de la réconciliation n'est jamais totalement fermée, même entre les pires ennemis ! La guerre n'est pas un phénomène naturel inéluctable.

        Opposez-vous de toutes vos forces à sa poursuite et prenez conscience que de l'autre côté de la tranchée ne se trouvent pas des monstres, mais des hommes et des femmes qui veulent au fond la même chose que vous : un avenir sans peur et en paix pour eux et leurs enfants. Mais vous ne pouvez y parvenir qu'ensemble. Alors commencez, mettez fin à la mort et ne permettez plus jamais que des jeunes gens qui ont encore la vie devant eux soient sacrifiés aux objectifs égoïstes d'élites avides de pouvoir.

       L'histoire nous enseigne, à nous Allemands en particulier : Celui qui dort dans la démocratie se réveille dans la dictature.

       Servez-vous donc de votre bon sens, pratiquez la désobéissance civile là où c'est nécessaire et faites usage de votre droit démocratique à dire « non ».

      C'est dans cet esprit que je tiens à vous réitérer mes remerciements les plus sincères pour notre amitié et pour votre invitation à cette journée de commémoration.

 

Vive l’Europe, vive la France, vive L’Allemagne, vive l’amitié franco-allemande !

 

Nous remercions Yves-André Gagnard de nous avoir transmis ce discours et nous souhaitons longue vie au jumelage entre Fontenay-aux-Roses et Wiesloch .

 

Suzanne Bourdet      Michel Faye

 

Photo : Dirk Elkemann, maire de Wiesloch crédit Yves-André Gagnard

 

 

 

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